1-L’EXOTISME.............................................................................................................................
.....2
1-1-Les
Turqueries.............................................................................................................
....2
a-Le
Grand Turc...................................................................................................................... 2
b-Les
costumes « a la turca ».................................................................................................2
c-Le
café.................................................................................................................................. 3
d-Le
harem...............................................................................................................................4
1-2-Les
écrivains romantiques..................................................................................
.............5
2-LA
CRUAUTE............................................................................................................................
.........6
2-1-Le
Siècle des Lumières, XVIIIe siècle...............................................................
.............6
a-Le
stéréotype du Turc infidèle............................................................................................. 6 b-Le
stéréotype du Turc tyran, despote................................................................................... 7 c-Le
stéréotype du barbare.................................................................................................... 10 d-Le
stéréotype du destructeur.............................................................................................. 13 2-2-L’un
des héritiers des frères Lumière, Alan Parker.........................
..............................14
3-LES
STEREOTYPES TURCS DANS LA BANDE DESSINEE............................................
............15
3-1-Le
stéréotype du costume..................................................................................
.............15 3-2-Le
stéréotype de l’arabe................................................................................................
.15 3-3-Le
stéréotype du méchant.............................................................................................. 16 3-4-Le
stéréotype du guerrier, du conquérant............................................
........................17 CONCLUSION.............................................................................................................................. BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................................
Aux
XVIIe et début XVIIIe siècles, l’Empire Ottoman fascine l’Europe,
tout y est sujet d’admiration. La Turquie s’apparente au raffinement du
Grand Turc, au faste des costumes, au mystère du harem ou à
l’opulence avec des produits comme le café. C’est l’époque
des Turqueries qui se prolonge au XIXe siècle à travers les
récits des voyageurs « romantiques » (Lamartine, Loti).
Mais
le XVIIIe siècle est avant tout le Siècle des Lumières
et les concepts des philosophes européens ont vocation universelle.
Le Turc devient l’image de l’infidèle, du tyran, du barbare ou du
destructeur. Alan Parker, dans les années 1970, « joue »
de nouveau avec ces stéréotypes dans son film Midnight
Express.
Finalement
la bande dessinée exploite au mieux ces clichés avec les
personnages du Capitaine Haddock, de Bécassine
dans
Bécassine chez les Turcs, d’Iznogoud ou de Corto Maltese
dans
La Maison Dorée de Samarkand.
En
fait, ces stéréotypes sont toujours d’actualité et
au début du XXIe siècle, le Turc dans l’imaginaire européen
évoque encore à la fois le charme oriental et la cruauté
barbare.
Cet
enthousiasme a un peu dévié depuis que « sultan»
est devenu un nom classique donné aux chiens.
C’est
aussi la mode des divans et des sofas ainsi que des tapisseries à
sujets orientaux.
La
comédie du Bourgeois Gentilhommme (1670) de Molière
parodie ce phénomène de mode et souligne de ce fait l’intérêt
que montre la France pour la Turquie Ottomane. La Turquie est un sujet
d’actualité surtout depuis qu’un envoyé du Sultan Mahomet
IV, Soliman Aga, a été accueilli à la cour en novembre
1669 et a séjourné en France de 1669 à 1670.
Louis
XIV demande donc à Molière d’écrire une comédie
pour les fêtes organisées à Chambord à l’occasion
des chasses d’automne et il précise qu’il souhaite que les Turcs
apparaissent dans la pièce. Certains disent qu’il avait été
vexé du manque d’admiration voire du dédain qu’avait témoignés
l’ambassadeur du Sultan Mahomet IV lorsque Louis XIV était apparu
à sa rencontre, sur un trône d’argent, couvert de diamants.
Et donc par cette pièce le Roi pensait se venger quelque peu de
l’humiliation qu’il avait ressentie.
Comme
promis, Molière fait intervenir des Turcs notamment au travers de
la cérémonie turque à la fin de l’acte IV.
Molière
a recours à des phrases turques ou plutôt à des mots
aux consonances turques : »Acciam croc soler ouch alla moustaph
gidelum amanahem varahini oussere carbulath » ce qui est censé
signifier « N’as-tu point vu une jeune belle personne qui est la
fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? » mais qui en
fait signifierait « Ce soir tu parles bien, bravo ! Moustapha, partons
! ».
Mais
l’humour de la traduction est accessible à peu de personnes car
Molière s’est inspiré de termes authentiques et à
fabriquer aussi beaucoup de ces mots.
Cependant
certains termes seront repris comme « salamalequi »
(Scène IV, Acte IV) qui signifie « Salam aleik, le salut sur
toi » et donnera en français « salamalecs ». Le
mot « salamalecs » est défini dans le dictionnaire Larousse
comme une formule de politesse ou comme une politesse exagérée.
La cérémonie turque donne lieu à un ballet qui fait intervenir un Mufti (théoricien et interprète du droit canonique musulman), des Dervis et des Turcs. Il est précisé que le Mufti est coiffé d’un turban de cérémonie, d’une grosseur démesurée et garni de bougies allumées, puis les deux Dervis portent l’Alcoran et ont des bonnets pointus, garnis eux aussi de bougies allumées.
L’intention
burlesque se trouve dans la langue soi-disant turque qui semble ainsi être
une langue parfois peu élaborée avec « Ha la ba,
ba la chou, ba la ba, ba la da ».
Mais
le burlesque se trouve aussi dans les costumes qui donnent l’impression
que les Turcs s’habillent avec beaucoup de superflu et l’ironie est d’autant
plus présente que dans la préface on ajoute que Molière
a essayé d’être aussi proche de la réalité que
possible. Ainsi par souci d’authenticité, le chevalier d’Arvieux,
qui avait séjourné en Orient, s’est occupé de «
tout ce qui regardait les habillements et les manières des Turcs
»…
Le monde turco-ottoman est constitué à la fois de la Turquie, siège du gouvernement et du pouvoir, mais aussi de l’Empire Ottoman, conquêtes ottomanes.
Ainsi de part sa situation géographique, port de la Méditerranée, le café arrive d’abord à Marseille où il fait fureur et devient une mode au départ dans les couches aisées de la population.
En
1672, Racine profite de l’engouement pour la Turquie Ottomane pour écrire
Bajazet,
dont l’intrigue se situe à Constantinople, « dans le Sérail
du Grand Seigneur ». Il s’inspire d’un fait réel puisque Bajazet
était mort en 1635 ce qui avait donné lieu à de multiples
récits.
Ainsi
la coutume sous l’Empire Ottoman veut que le Sultan fasse mourir ses frères
de façon à éviter des complots pour l’évincer.
Mais le Sultan Amurat (ou Morat) laisse vivre son frère «
le stupide Ibrahim » et son demi-frère Bajazet car il admire
ses qualités, notamment sa beauté. Roxane, la mère
d’Amurat, qui est encore jeune puisqu’elle a eu son fils vers 13-14 ans,
tombe amoureuse de Bajazet. Mais Bajazet, de son côté, est
amoureux de la confidente de Roxane, Floridon. A la suite d’une insurrection
de son armée qui vise à accorder le pouvoir à Bajazet,
Amurat fait envoyer un émissaire pour assassiner Bajazet. Mais Roxane
fait tuer l’émissaire et finalement en apprenant que Bajazet lui
préfère Floridon, décide de faire étrangler
Bajazet.
Elle
pardonne à Floridon qu’elle garde à ses services et s’occupe
de l’enfant, donc le fils de Bajazet, que Floridon met au monde. Ce dernier
sera fait prisonnier à la Mecque par les Chevaliers de Malte.
Cette
pièce fait allusion aux intrigues qui peuvent régner dans
le Sérail mais aussi à la grandeur de l’Empire Ottoman comme
avec cette réplique de Bajazet dans l’Acte II, Scène 1 :
»…Soliman
jouissait d’une pleine puissance :
L’Egypte
ramenée à son obéissance,
Rhodes,
des Ottomans ce redoutable écueil,
De
tous ses défenseurs devenu le cercueil,
Du
Danube asservi les rives désolées,
De
l’empire persan les bornes reculées,
Dans
leurs climats brûlants les Africains domptés,
Faisaient
taire les lois devant ses volontés.
»
La
pièce met en évidence l’ambivalence du monde Ottoman pour
les Français au XVIIe siècle, qui attire de part sa richesse,
son harem et donc son exotisme mais aussi fait peur. Cependant la peur
suscite, à cette époque, davantage le respect, la curiosité
que la critique.
Tous
ces stéréotypes contribuent à façonner une
image de la Turquie, celle d’un pays fastueux.
Au
XVIIIe siècle, l’exotisme de l’Empire Ottoman captive toujours mais
on commence à s’ouvrir à d’autres aspects de ce pays grâce
aux récits des voyageurs turcophiles mais aussi turcophobes.
Au
milieu du XIXe siècle, l’Empire Ottoman n’est plus si mystérieux
suite à la domination croissante de l’Occident sur cet Empire mais
des écrivains romantiques continuent à décrire le
charme de la Turquie.
«
-vous avez à toutes les heures du jour et de la nuit le plus magnifique
et le plus délicieux spectacle dont puisse s’emparer un regard humain
; c’est une ivresse des yeux qui se communique à la pensée,
un éblouissement du regard et de l’âme.
»
Il reprend le cliché du Turc fumant le narguilé :
«…La
place était encombrée de ballots, de marchandises, de chevaux,
de chiens sans maître, et de Turcs accroupis qui fumaient à
l’ombre ; les bateliers des caïques étaient aussi en grand
nombre sur les margelles du quai, attendant leurs maîtres ou sollicitant
les passants : c’est une belle race d’hommes, dont le costume relève
encore la beauté. Ils portent un caleçon blanc, à
plis aussi larges que ceux d’un jupon ; une ceinture de soie cramoisie
le retient au milieu du corps ; ils ont la tête coiffée d’un
petit bonnet grec en laine rouge, surmonté d’un long gland de soie
qui pend derrière la tête ; le cou et la poitrine nus
; une large chemise de soie écrue, à grandes manches pendantes,
leur couvre les épaules et les bras. ».
Pierre
Loti (1850-1923) est lui aussi ébahi par les paysages de Constantinople
qu’il dépeint dans son livre
Les Capitales du monde, il rend
compte aussi des mœurs des Turcs comme dans ce passage :
«
Les
rangées de divans en plein air peu à peu se garnissent, sans
distinction, de personnages de toutes les races et de tous les costumes
du Levant. Les garçons affairés accourent, portant les microscopiques
tasses de café, et le raki, et les bonbons, et les braises ardentes
dans les petits vases de cuivre ; la grande flânerie douce des soirs
d’Orient commence, les narguilés s’allument, et les cigarettes blondes
remplissent l’air odorante fumée. ».
«
Les
impies qui font profession de suivre la raison doivent être étrangement
forts en raison. Que disent-ils donc ? « Ne voyons-nous pas, disent-ils,
mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les
chrétiens ? Ils ont leurs cérémonies, leurs prophètes,
leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux, comme nous-mêmes,
etc. » (Cela est-il contraire à l’Ecriture ? Ne dit-elle pas
tout cela ?) ».
Pascal
établit un quasi-parallèle entre les bêtes et les Turcs
puis les hommes et les chrétiens.
Par
contre dans la partie sur la condition humaine, Appendice de «
La misère de l’homme », Pascal mentionne la Turquie pour
sa puissance :
»Inconstance
et bizarrerie.- Ne vivre que de son travail, et régner sur le plus
puissant Etat du monde, sont choses très opposées. Elles
sont unies dans la personne du Grand Seigneur des Turcs. ».
On ne peut s’empêcher de reconnaître la grandeur de l’Empire Ottoman, sa puissance mais on ne respecte plus le Sultan, son autorité sur ses sujets et sa façon de dominer un si grand Empire. (d’où peut-être l’origine de l’expression « travailler pour le Grand Turc » qui signifie travailler gratuitement).
Montesquieu
(1689-1755) dans les Lettres persanes, Lettre XXXV, fait écrire
à Usbek, voyageur perse, dans une de ses lettres à Gemchid,
son cousin, dervis du brillant monastère de Tauris :
«
Que
penses-tu des chrétiens, sublime dervis ? Crois-tu qu’au jour du
jugement ils seront comme les infidèles turcs, qui serviront d’ânes
aux juifs et les mèneront au grand trot en enfer ? ».
Les
Turcs n’ont pas de religion, ils ne sont ni de bons musulmans et encore
moins de bons chrétiens.
Dans
De
l’Esprit des Lois (1748), Livre V/ChapitreXIV, l’arbitraire du Sultan
est pris à partie :
»Pour
que tout ne soit pas perdu, il est bon que l’avidité du prince soit
modérée par quelque coutume. Ainsi, en Turquie, le prince
se contente ordinairement de prendre trois pour cent sur les successions
des gens du peuple. Mais, comme le grand seigneur donne la plupart des
terres à sa milice, et en dispose à sa fantaisie ; comme
il se saisit de toutes les successions des officiers de l’empire ; comme,
lorsqu’un homme meurt sans enfants mâles, le grand seigneur a la
propriété, et que les filles n’ont que l’usufruit ; il arrive
que la plupart des biens de l’Etat sont possédés d’une manière
précaire. ». L’arbitraire du pouvoir est critiqué car
aucune loi n’établit la succession du prince : »Chaque prince
de la famille royale ayant une égale capacité pour être
élu, il arrive que celui qui monte sur le trône fait d’abord
étrangler ses frères, comme en Turquie ; ou les fait aveugler,
comme en Perse ; ou les rend fous, comme chez le Mogol : ou, si l’on ne
prend point ces précautions, comme à Maroc, chaque vacance
de trône est suivie d’une affreuse guerre civile. ».
En
1769, M.Porter dans Sur les observations sur la religion, les lois,
le gouvernement et les mœurs des Turcs, traduit en français
par Bergier[1]:
critique lui aussi cette tradition fratricide : « N’allons pas
vivre là, mon ami ! Ô le vilain pays ! Il y a une grande bête
féroce qui dévore toutes les bêtes féroces qui
sont autour d’elle ; et celles-ci, à l’exemple de la première,
dévorent toutes celles qui les approchent, et ainsi de proche en
proche ; c’est un pays où tout est dévorant et dévoré
«. Pour les Européens, il s’agit d’une pratique expéditive
qui, bien qu’elle évite tout conflit dans la succession, met à
mort des princes innocents.
Montesquieu
cite de nouveau la Turquie pour montrer comment une justice rapide peut
être dangereuse dans le Livre VI, Chapitre II, De la simplicité
des lois criminelles, dans les divers gouvernements :
«
On
entend dire sans cesse qu’il faudrait que la justice fût rendue partout
comme en Turquie. Il n’y aura donc que les ignorants de tous les peuples
qui auront vu clair dans la chose du monde qu’il importe le plus au hommes
de savoir ?
Si vous examinez les formalités de la justice, par rapport à la peine qu’a un citoyen à se faire rendre son bien, ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez sans doute trop : Si vous les regardez dans le rapport qu’elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu ; et vous verrez que les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté.
En
Turquie, où l’on fait très peu d’attention à la fortune,
à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement,
d’une façon ou d’une autre, toutes les disputes. La manière
de les finir est indifférente, pourvu qu’on finisse. Le bacha, d’abord
éclairci, fait distribuer, à sa fantaisie, des coups de bâton
sur la plante des pieds des plaideurs, et les renvoie chez eux.
».
Pour
bien mettre en évidence l’absurdité d’une justice qui n’est
pas fondée sur des lois fondamentales, Montesquieu prend comme exemple
« les plus ignorants de tous les peuples ».
Dans
le Livre XI, Chapitre VI, De la Constitution d’Angleterre, Montesquieu
reprend la Turquie comme l’emblème du despotisme :
«
Tout
serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux,
ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs:
celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions
publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
Dans
la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré
; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à
ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces
trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne
un affreux despotisme.
».
Montesquieu
dans les Lettres persanes se sert de l’Orient, représentés
par deux voyageurs perses, pour mieux se moquer des mœurs occidentales.
Mais sa satire sur l’Occident n’est pas sans toucher l’Orient et sans jouer
avec les stéréotypes qu’on a de cette partie du monde à
l’époque. Montesquieu souhaite critiquer le régime monarchique
français et a de nouveau recours à la Turquie pour mettre
en évidence les travers d’un régime despotique.
Dans
la Lettre VI, Usbek écrit à son ami Nessir à Ispahan
:
»Il
faut que je te l’avoue, Nessir : j’ai senti une douleur secrète
quand j’ai perdu la Perse de vue, et que je me suis trouvé au milieu
des perfides Osmanlins. ».
Les
Osmanlins ou Osmanli désignent les Ottomans dont leur fondateur
est Osman en turc ou Othman en arabe.
Dans
la Lettre XIX, Usbek écrit à son ami Rustan à Ispahan
:
«
Nous
n’avons séjourné que huit jours à Tocat ; après
trente-cinq jours de marche, nous sommes arrivés à Smyrne.
De
Tocat à Smyrne, on ne trouve pas une seule ville qui mérite
qu’on la nomme. J’ai vu avec étonnement la faiblesse de l’empire
des Osmanlins. Ce corps malade ne se soutient pas par un régime
doux et tempéré, mais par des remèdes violents, qui
l’épuisent et le minent sans cesse.
Les
bachas, qui n’obtiennent leurs emplois qu’à force d’argent, entrent
ruinés dans les provinces, et les ravagent comme des pays de conquête.
Une milice insolente n’est soumisequ’à
ses caprices. Les places sont démantelées, les villes, désertes,
les campagnes, désolées, la culture des terres et le commerce,
entièrement abandonnés.
L’impunité
règne dans ce gouvernement sévère : les chrétiens
qui cultivent les terres, les juifs qui lèvent les tributs, sont
exposés à mille violences.
La
propriété des terres est incertaine, et par conséquent
l’ardeur de les faire valoir, ralentie : il n’y a ni titre ni possession
qui vaille contre le caprice de ceux qui gouvernent.
Ces
barbares ont tellement abandonné les arts, qu’ils ont négligé
jusques à l’art militaire. Pendant que les nations d’Europe se raffinent
tous les jours, ils restent dans leur ancienne ignorance,et
ils ne s’avisent de prendre leurs nouvelles inventions qu’après
qu’elles s’en sont servi mille fois contre eux.
Ils
n’ont aucune expérience sur la mer, point d’habileté dans
la manœuvre. On dit qu’une poignée de chrétiens sortis d’un
rocher (allusion aux chevaliers de Malte) font suer les Ottomans et fatiguent
leur empire.
Incapables
de faire le commerce, ils souffrent presque avec peine que les Européens,
toujours laborieux et entreprenants, viennent le faire : ils croient faire
grâce à ces étrangers de permettre qu’ils enrichissent.
Dans
toute cette vaste étendue de pays que j’ai traversée, je
n’ai trouvé que Smyrnequ’on
puisse regarder comme une ville riche et puissante. Ce sont les Européens
qui la rendent telle, et il ne tient pas aux Turcs qu’elle ne ressemble
à toutes les autres.
Voilà,
cher Rustan, une juste idée de cet empire, qui, avant deux siècles,
sera le théâtre des triomphes de quelque conquérant.
».
Montesquieu
reprend les thèmes déjà présentés dans
De
l’Esprit des Lois tels que l’arbitraire du pouvoir, de la justice,
de la propriété. L’Europe des Lumières apporterait
la civilisation, la prospérité sur Smyrne (rebaptisée
depuis Izmir), tel un effet de baguette magique.
Pourtant
cet arbitraire n’était pas caractéristique de tous les sultans
puisque Soliman, successeur de Selim 1er, était surnommé
par son peuple « le Législateur » et le roi d’Angleterre,
Henri VIII, envoya même ses juristes pour étudier le code
judiciaire mis en place par le Sultan.
« Je ne sais comment
il arriva qu’un Turc se trouva un jour avec un cannibale. « Vous
êtes bien cruel, lui dit le mahométan, vous mangez les captifs
que vous avez pris à la guerre. - Que faites-vous des vôtres,
lui répondit le cannibale ? – Nous les tuons, mais quand ils sont
morts, nous ne les mangeons pas. »
Il vaut bien la peine
pour si peu de chose de se distinguer des sauvages. Nous trouvons de la
barbarie à des coutumes presque indifférentes et nous n’en
trouvons pas à violer toutes les règles de l’humanité
et à faire taire tous les sentiments de la pitié. »
Le
Turc devient un être sans foi, ni loi. Le Turc représente
l’incroyant, l’ennemi brutal, le barbare. Ainsi aux XVIIe, XVIIIe siècles,
quand on souhaite injurier un homme, on le traite de « vrai Turc
» et par là même on le taxe de barbarie, de cruauté
et d’irréligion. Le Turc est l’ennemi par excellence.
L’image
du Turc barbare face à l’Europe civilisée est reprise par
exemple dans la pièceOthello
de Shakespeare (1564-1616) qui se déroule à Venise, puis
dans l’île de Chypre. Mehmet II (1451-1481) avait en effet mené
une politique de conquête des terres byzantines et vénitiennes.
Dans
l’Acte II, Scène III, Othello sépare deux adversaires et
les réprimande pour leur manque de courtoisie :
« Are we turn’d Turks, and to ourselves do that
Which heaven has forbid to Ottomites ?
For Christian shame, put by this barbarous brawl ; »
(« Voyons
! qu’y a t-il ? Holà ! quelle est la cause de ceci ? Sommes-nous
changés en Turcs pour nous faire à nous-mêmes ce que
le ciel a interdit aux Ottomans ? Par pudeur chrétienne, laissez
là cette rixe barbare. »).
Et
dans l’Acte V, Scène II, quand Othello se donne la mort :
« And say besides, that in Aleppo once,
Where a malignant and a turban’d Turk
Beat a Venetian, and a traduc’d the state,
I took by the throat the circumciseddog
And smote him thus. »
(«
…Racontez cela, et dites en outre qu’une fois, dans Alep, voyant
un Turc, un mécréant en turban, battre un vénitien
et insulter l’Etat, je saisis ce chien de circoncis à la gorge et
le frappai ainsi.(Il se perce de son épée.)
»).
Le
stéréotype du barbare est sans doute entretenu par la légende
de Barberousse.
En
fait, ils sont quatre frères : Aroudj, le frère aîné,
Elias, Isaak et Kheir-ed-din, probablement de descendance grecque ou albanaise
mais la légende a rassemblé ces quatre frères en une
même et unique personne, le terrible corsaire Barberousse, roi de
Barbarie.
La
Barbarie ou les Etats barbaresques est le nom donné par les Européens
aux pays d’Afrique du Nord suite à la déformation du nom
de « Berbérie », pays des Berbères, d’où
l’amalgame entre les pays barbares et l’acte de barbarie.
A
cette époque, l’Europe chrétienne combat l’Empire Ottoman,
mais la guerre est menée par des « professionnels »,
des mercenaires. Au nom du prétexte religieux des croisades, ces
corsaires deviennent alors des soldats de la Foi. La barbarie sévit
des deux camps et aussi du côté des chrétiens avec
les Chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (appelés Chevaliers
de Malte vers 1530) mais l’Europe retient essentiellement la barbarie des
pirates musulmans. Une des raisons de ce manichéisme est que chaque
croisade faisait son lot de prisonniers et les religieux chrétiens
pouvaient racheter les captifs. Pour cela, les missionnaires devaient collecter
des fonds et donc apitoyer les Européens par des récits sur
la cruauté de l’ennemi à grand renfort d’images, de gravures
représentant le pirate musulman avec son burnou et son sabre.
Par
contre, si on se fie aux récits des Anglais, les pirates barbaresques
sont loin d’être aussi cruels que les pirates chrétiens. Mais
leurs récits ne sont pas non plus objectifs puisque les ennemis
de l’Angleterre, à cette époque, sont l’Espagne et la France.
Donc
les frères Barberousse possèdent les villes de Barbarie (Alger
et Tunis notamment) et sont donc les maîtres de la Méditerranée.
Mais afin de consolider leurs possessions face aux attaques des Espagnols,
en 1518, Kheir-ed-din se soumet au sultan ottoman, Selim 1er ,
et lui offre son royaume. En contrepartie, il obtient la protection du
Grand Turc. Kheir-ed-din, à la tête de la puissance maritime
turque, défend la côte méditerranéenne contre
les invasions espagnoles. Il devient Gouverneur de la ville d’Alger. C’est
la période de la Régence à Alger.
Les Espagnols le redoutent et une chanson espagnole du XVIe siècle commence ainsi : « Barberousse, Barberousse,
Tu es le roi du mal ;
Il n’est de douleur ni de fait
De caractère infernal
Qui ne soit commis
Par ce pirate sans égal.
».
En
1519, Charles Quint, roi d’Espagne, devient empereur du Saint-Empire romain
germanique et François 1er, roi de France, se trouve
« encerclé » par les Espagnols.
En
1536, François 1er signe un traité de commerce
avec Soliman et demande l’aide de Barberousse pour repousser les Espagnols
malgré les protestations de l’Europe catholique. C’est le siège
de Nice mais aussi des alliances entre la Croix, symbole des croisades
chrétiennes, et le Croissant, symbole de l’Empire ottoman..
Barberousse
est enterré comme il le souhaitait à Beshiktache, sur les
rives du Bosphore.
Mais
dans un contexte pluscontemporain,
comme le rappelle Jeremy Seal dans A Fez of the Heart,
Martin Luther[2]
aurait repris ce stéréotype dans un de ses prêches
:
« to
be delivered from the World, the Flesh, the Turk, and the Devil.
».
Ainsi
Voltaire dans le Supplément au siècle de Louis
XIV, repris par Alain Grosrichard dans la
Structure du Sérail[3],
écrit :
« Je crois devoir ici combattre un préjugé : que le gouvernement turc est un gouvernement absurde qu’on appelle despotique ; que les peuples sont tous esclaves du sultan ; qu’ils ont rien en propre, que leur vie et leurs biens appartiennent à leur maître. Une telle administration se détruirait elle-même.
Il est très faux qu’un tel gouvernement existe, et il me paraît très faux qu’il puisse exister.
Il n’a point d’Etat despotique
par sa nature. Il n’y a point de pays où une nation ait dit à
un homme : « Sire, nous donnons à votre gracieuse majesté
le pouvoir de prendre nos femmes, nos enfants, nos biens et nos vies, et
de nous faire empaler selon votre bon plaisir et votre adorable caprice.
».
Mais
il ne sera pas sans condamner la Turquie. Dans le Dictionnaire
philosophique (1764) et l’article sur les Mahométans,
il écrit :
« Je hais tant la calomnie que je ne veux même pas qu’on impute des sottises aux Turcs, quoique je les déteste comme tyrans des femmes et ennemis des arts. ».
Puis
dans sa Stance à Catherine II,
il ajoute :
« Tu Vengeras la Grèce en chassant ces infâmes
Ces ennemis des arts,
ces geôliers des femmes ».
Le
Turc devient le destructeur de l’héritage grec, de la culture et
de la civilisation. C’est l’hellénisme qui prévaut dans l’Europe
des Lumières.
En
1782, Mozart compose l’Enlèvement au sérail, le
Turc représente l’oppresseur des femmes mais aussi des peuples en
général. Il détruit tout sur son passage et asservit
les peuples, son Empire s’étend d’Alger à la frontière
persane et de Budapest à La Mecque.
En
1453, Constantinople, la capitale de l’Empire byzantin avait été
conquise par les Ottomans avec le Sultan, Mehmet II, « Le
Conquérant », ce qui mettait
fin à la présence chrétienne en Orient.
En
1521, Soliman prenait Belgrade, puis en 1526, la Hongrie. En 1529, il assiégeait
Vienne mais était repoussé. En 1571, la bataille de Lépante
contre l’Espagne était la première défaite de la flotte
turque. Les conquêtes turques renforcent l’image du destructeur,
de l’oppresseur.
Le
film d’Alan Parker popularise l’histoire de Billy Hayes et popularise tristement
la Turquie. La Turquie est alors jugée à travers la grille
de lecture de Midnight Express
: corruption, système judiciaire à deux vitesses, peines
disproportionnées pour les étrangers mais aussi des Turcs
brutes, malhonnêtes et sales. Ce film a beaucoup imprégné
l’image du Turc en Europe.
Jeremy
Seal dans A fez of the Heart
reprend les phrases choc du film telles que :
« Justice in Turkey
is like asking bears to shit in a toilet »,
« They have special classes for corruption at night schools
» et « For a nation of pigs, it sure is funny you
don’t eat them. ».
Le
Turc devient la tête de Turc de l’Occident au fur et à mesure
que l’Empire Ottoman perd son pouvoir.
D’après
le Robert, le dictionnaire des expressions et des locutions, être
une tête de turc signifie
: »être l’objet des railleries, des plaisanteries d’autrui
». C’est ce sur quoi on frappe et donc une allusion au dynamomètre
dans les foires. Il s’agit de frapper une partie qui représente
une tête ornée d’un turban, la turquette, de façon
à faire remonter par la force du coup le poids. Une autre pratique
peut expliquer cette expression car à l’époque où
le Turc représente l’ennemi, on confectionne des têtes de
carton représentant des Turcs qui servent de cibles pour l’entraînement
des cavaliers. Au début, ces cibles sont appelées têtes
de Mores, le More (ou le Maure) étant le musulman, mais ce mot se
rapproche trop de celui de la mort et on opte pour tête de Turc.
«
…Il a pris aussi leurs habitudes . Quand il se repose dans sa cabine,
presque toujours il se coiffe d’un fez, et il s’accroupit par terre, sur
un tapis, comme font les Turcs que j’ai vus sur des images.
»
Les
images de la femme voilée vivant dans le « haremlike
», la partie réservée aux femmes par opposition au
« selamlik », chambre
de l’homme (divans, sofas). Puis le Turc est coiffé d’un fez, pourtant
l’habit ne fait pas le Turc et encore moins le fez.
En
1826, le turban est aboli en Turquie, symbole de retard et on introduit
le fez. En 1925, le fez est interdit avec Atatürk car il symbolise
l’Empire et non le modernisme. On souhaite alors se rapprocher de l’Occident
et les femmes doivent s’habiller à l’européenne et le port
du fez donne lieu à des arrestations.
La
Turquie est souvent associée au paysage des pays arabes (dromadaires,
désert voire pyramides), ne serait-ce qu’à travers les paquets
de cigarettes Camel « made in Turkey ».
La
religion est aussi source de confusion puisque les Occidentaux associent
souvent les termes « musulman » et « arabe ». Donc
si les Arabes sont musulmans et les Turcs sont musulmans alors les Turcs
sont arabes ! En fait cette confusion vient peut-être du fait que
l’Empire Ottoman a occupé les pays arabes du Maghreb.
L’illustration
de la méthode Assimil
pour le turc représente un Turc avec une moustache, le teint mât,
portant le fez et la djellaba. Bien entendu, il s’agit d’une caricature
au même titre que le Français avec la moustache, les cheveux
noirs, habillé d’un tee-shirt marin et coiffé de son béret.
Mais les Turcs sont loin de représenter un peuple homogène
et peuvent être originaires des différents territoires qui
composaient l’Empire Ottoman. Selon Atatürk, la civilisation turque
a commencé en Anatolie.
Iznogoud,
le personnage de Goscinny et Tabary, est le Grand Vizir, avide de pouvoir,
qui souhaite « devenir calife à la place du calife »par
tous les moyens. L’action se situe à Bagdad mais l’Empire ottoman
a régné aussi en Mésopotamie. Et le personnage d’Iznogoud
pourrait bien être un Turc, ne serait-ce que par son grand nez, caricature
classique des Turcs et sa petite taille.
Jeremy
Seal dans A fez of the heart
rappelle une autre forme de célébrité du nez soi-disant
turc dans Mac Beth de Shakespeare,
acte IV, scène 1 où les sorcières préparent
une potion dans un chaudron bouillant et dont les ingrédients ne
sont autres que :
« Ecaille de dragon, dent de loup,
Momie de sorcière, estomac et gueule
Du requin dévorant des mers,
Racine de ciguë arrachée dans l’ombre,
Foie de juif blasphémateur,
Fiel de bouc, branches d’if
Cassées dans une éclipse de lune,
Nez de Turc et lèvre de Tartare… »
Pour
mieux montrer que notre vision de la Turquie est encore fortement influencée
par ces clichés, il suffit de poser ne serait-ce que cinq questions
: où se situe la Turquie ?, quelle est la capitale de la Turquie
?, quel est son régime politique ?, le port du voile est-il obligatoire
pour les femmes ?, quelle est la langue du pays ?.
Non,
la Turquie n’est pas un pays arabe ; la capitale n’est pas Constantinople,
rebaptisée depuis Istanbul ; il s’agit bien d’un pays laïc
et non religieux ; le Turc est écrit avec un alphabet latin.
Le
tourisme n’est pas mentionné comme à l’origine de stéréotypes
car le touriste est censé non pas développer des clichés
mais plutôt les confronter avec la réalité. Cependant
certains clubs de vacances dans le Sud de la Turquie « enferment
» leurs clients dans des tours d’ivoire et jouent beaucoup avec ces
images figées de la Turquie.
La
situation du travailleur turc immigré n’est pas non plus évoquée
comme source de stéréotypes car il s’agit d’une situation
de fait et l’imaginaire n’entre plus en jeu, et on suppose que le pays
d’accueil et la communauté turque se fréquentent et se connaissent
mieux.
De
plus les éventuels stéréotypes se rapportant au travailleur
immigré sont moins liés avec la Turquie qu’avec sa situation
de travailleur immigré.
L’
« imaginaire » fait donc bien appel à l’imagination,
à des idées qui ne reposent pas sur le réel. Ainsi
la littérature, la musique, la peinture, le cinéma voire
la bande dessinée ont créé cet imaginaire du Turc.
Tout un chacun a ou avait des images de la Turquie sans pour autant s’être
rendu en Turquie.
Le
Turc dans l’imaginaire européen a finalement peu évolué
depuis le Siècle des lumières et l’interprétation
donnée de certains faits d’actualité révèle
encore l’influence de ces images. Finalement on pourrait en arriver à
se dire comme. André Breton : »L’imaginaire est ce
qui tend à devenir réel ».
Berchet
Jean-Claude, Le Voyage en Orient : anthologie des voyageurs français
dans le Levant au XIXe siècle, Editions Robert Laffont, 1985
Caumery,
Pinchon Joseph Porphyre, Bécassine chez les Turcs, Paris,
Gautier-Languereau, 1978
Hélène
Desmet-Grégoire , Le « Divan » magique, L’Orient
turc en France au XVIIIe siècle, Paris, Editions L’Harmattan,
1994
Géo,
Turquie
Ottomane, N°123, mai 1989
Goscinny
René, Tabary Jean, La tête de turc d’Iznogoud, Paris,
Editions Tabary, 1991
Grosjean
Didier, Roland Claudine, Wintz Nicolas, Moi, Barberousse : pirate et
roi de Barbarie, capitan pacha de la flotte ottomane, seigneur des seigneurs,
Paris, Casterman, 1989
Billy
Hayes, Midnight Express, E.P. Dutton, 1977, traduit par Danielle
Michel-Chich, Editions Presses de la Cité, 1986
Bernard
Lewis, Istanbul and the civilization of the Ottoman Empire, Oklahoma
Press, 1963, traduit par Yves Thoraval, Editions Jean-Claude Lattès,
1990
Molière,
Le
Bourgeois Gentilhomme, Bordas, Paris, 1984
Pascal,
Pensées,
Bordas, Paris, 1984
Marcus
Stein, adaptation française de Isabelle Lavaud, Assimil évasion,
Le Turc de poche, Assimil, 1997
Günter
Wallraff, Tête de Turc, Editions de la découverte,
1986
Yerasimos
Stéphane, Les Turcs, Orient et Occident, islam et laïcité,
Editions Autrement, 1994
SITOGRAPHIE
www.monde-diplomatique.fr/index/pays/turquie